La jurisprudence joue un rôle crucial dans le métier de détective privé, servant de guide pour naviguer dans le cadre légal complexe des enquêtes privées. Elle éclaire les détectives sur les limites de leurs interventions, notamment en matière de respect de la vie privée, de collecte de preuves et d'utilisation légitime des technologies de surveillance. Les décisions de justice antérieures fournissent des exemples concrets de ce qui est légalement acceptable, aidant les détectives à adapter leurs méthodes d'investigation pour assurer la conformité avec les normes éthiques et légales en vigueur. Ainsi, la jurisprudence contribue à façonner les pratiques professionnelles et à garantir l'efficacité judiciaire des preuves recueillies.

Les grands principes découlant de la jurisprudence du métier de détective privé


Le respect de la vie privé

C'est l'article 9 du Code civil qui rappelle que chacun à droit au respect de sa vie privé. La jurisprudence le rappelle régulièrement en publiant des décisions qui vont dans ce sens. Les détectives privés doivent veiller à ne pas porter atteinte à l'intimité de la vie privée des individus dans le cadre de leurs investigations.
Dans un arrêt du 25 février 2016 (15–12403) la Cour de cassation rappelle que "le droit de la preuve ne peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée qu’à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi".

La légalité dans la collecte de preuves

Les preuves recueillies par les détectives privés doivent être obtenues de manière légale. Cela implique de ne pas recourir à des écoutes téléphoniques non autorisées, à l'intrusion dans des propriétés privées sans consentement, ou à d'autres méthodes prohibées par la loi.
Un arrêt de la Cour d'appel de Caen du 04 avril 2002 rappelle que "Les éléments recueillis par les constatations effectuées par un détective privé sont admissibles en justice selon les mêmes modalités et sous les seules mêmes réserves que tout autre mode de preuve".

La proportionnalité des moyens mis en place

La proportionnalité des moyens employés par les détectives privés est un principe fondamental qui garantit l'équilibre entre l'efficacité des enquêtes et le respect des droits individuels. Ce principe impose que les méthodes d'investigation soient strictement nécessaires et adaptées à l'objectif poursuivi, sans excéder ce qui est raisonnablement requis. Cela signifie que chaque action entreprise par un détective doit être mesurée, justifiée et en adéquation avec la nature et la gravité de l'affaire traitée. Respecter la proportionnalité est essentiel pour maintenir la légitimité de l'enquête, protéger la vie privée des personnes et assurer l'admissibilité des preuves recueillies en justice.

Cass. 1re civ., 6 mars 1996 ; Cass. 2e civ., 3 juin 2004, (n° 02-19.886) : "La filature ne doit pas durer trop longtemps, au risque sinon de voir le rapport rejeté."

L'admissibilité des preuves en Justice

Pour que les preuves recueillies par un détective privé soient admissibles en justice, elles doivent être collectées de façon éthique et dans le respect des lois en vigueur. La jurisprudence a clarifié les conditions dans lesquelles les informations et documents recueillis peuvent être utilisés dans un cadre judiciaire.
La Cour de cassation a constamment maintenu que "Le rapport de surveillance privé est admis et ne peut être rejeté au seul motif que le détective était payé."

La transparence et la déontologie

En France, par exemple, le Code de la sécurité intérieure, particulièrement les articles L622-1 à L622-10, établit le cadre légal pour l'exercice des activités de sécurité privée, y compris les services de détective privé. Bien que ces articles ne mentionnent pas explicitement l'"obligation de transparence" en ces termes, ils imposent des conditions strictes concernant l'exercice de la profession, la confidentialité et l'usage des informations recueillies, ce qui, par extension, souligne l'importance de la transparence vis-à-vis des clients et des autorités de régulation.

L'obligation de confidentialité

L'obligation de confidentialité (secret professionnel) constituent des fondements essentiels de la pratique du détective privé, encadrés par la loi et renforcés par la jurisprudence. Cette obligation garantit que toutes les informations et données recueillies au cours d'une enquête, ainsi que l'identité des clients et des personnes investiguées, restent strictement confidentielles. Ce devoir de discrétion assure non seulement la protection de la vie privée et des droits individuels mais renforce également la confiance entre le détective et son client, élément crucial pour le succès de toute enquête.

Exemples de Jurisprudence dans le domaine de l'entreprise


Le respect de la vie privé

Articles 8 CEDH, 9 Code civil.

En droit du travail, le salarié doit être informé de tout moyen de surveillance technique, ce qui doit faire l’objet d’une validation par le CE. Dans ce cas, le moyen de surveillance technique dans le cadre du travail n’est pas considéré par les juges comme une atteinte à la vie privée du salarié.

L’article 432-2-1 du code du travail dispose qu’avant la mise en place dans l’entreprise de moyens ou techniques de contrôle de l’activité des salariés, ils doivent obligatoirement en être informés. Ainsi, même si l’employeur a le droit de contrôler ses salariés durant le temps de travail, il doit préalablement les informer.

La Jurisprudence du détective privé pour les entreprises

Cass. Soc.  22 mai 1995 (93-44078), " si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle qui n’a pas été préalablement porté à la connaissance des salariés."
Cass. Soc. 6 novembre 2008 (06-45.749) : "La preuve des griefs résultant du rapport d’un détective privé dont le salarié n’a pas été averti de la présence est illicite."
Cass. soc., 15-05-2001, n° 99-42.219 : "Si l'employeur peut contrôler et surveiller l'activité de son personnel pendant la durée du travail, le dispositif de contrôle doit être préalablement porté à la connaissance des salariés, à défaut de quoi, la preuve rapporté par ce moyen est illicite."
Cour d’Appel de Poitiers, 8 mars 2011 n° 10/00835 : "Le rapport établi par un détective privé à la suite d’une filature d’un salarié demandée par son employeur doit être écarté des débats comme constituant un moyen de preuve illicite attentatoire au respect de la vie privée et aux droits fondamentaux de la salariée.

Certains procédés ne nécessitent pourtant pas une information préalable du salarié au regard des juges.

Cass. soc., 15-05-2001, n° 99-42.937 : "La vérification par la société d'un relevé de ses communications téléphoniques ne constitue pas un procédé de surveillance illicite pour ne pas avoir été préalablement porté à la connaissance des salariés."

A été assimilé à un moyen de surveillance technique la surveillance humaine. Il en découle que la surveillance physique du salarié (notamment filature par un détective privé) doit faire l’objet d’une information préalable du salarié pour être utilisée comme moyen de preuve recevable.

Cass. Soc. 6 novembre 2008 n° 06-45.749 : "La preuve des griefs résultant du rapport d’un détective privé dont le salarié n’a pas été averti de la présence est illicite."

Cour d’Appel d’Orléans, 24 février 2011 n° 10/02442 : "Un salarié, comme tout citoyen, a droit au respect de sa vie privée pendant la suspension de son contrat. Méconnaît ce respect et constitue un procédé déloyal la filature de la salariée par un détective privée à qui l’employeur a demandé de faire une enquête."

De même :

Cour d’Appel Fort de France, 29 avril 2010 n°09/00134
Cour d’Appel de Besançon, 19 mars 2010 n° 09/01523
Cour d’Appel de Reims, 10 mars 2010 n° 09/00270
Cour d’Appel d’Amiens, 24 novembre 2009 n° 08/04187

Cour d’appel de Grenoble, 30 août 2012 n° 11/03995 :

"La société A… a confié à un détective privé, la mission de vérifier l’emploi du temps de sa salariée durant ses horaires d’emploi.

Le détective privé a surveillé Madame B…, y compris au départ de son domicile, dans ses diverses activités et déplacements journaliers, l’a prise en photo et a établi un rapport écrit, auquel est annexée une attestation sur l’honneur d’une certaine Madame C…, retraitée, qui indique avoir rejoint le détective privé, s’être rendue dans la société D… et avoir parlé à Madame B… qui lui aurait proposé ses services.

Contrairement à ce que soutient l’employeur, il s’agit bien d’un moyen clandestin et déloyal de surveillance du salarié sur lequel il ne peut se fonder pour établir la violation par sa salariée de l’obligation de loyauté ou même pour obtenir l’autorisation de faire constater par huissier de justice si celle-ci travaillait, et depuis quand, pour le compte des sociétés D… et E…

Par conséquent les procès-verbaux de constat d’huissiers de Maître F… et de Maître G…, issus d’une décision elle-même fondée sur un moyen de preuve illicite, sont également entachés d’irrégularité et ne peuvent être utilement invoqués."

Cour d’appel de Toulouse, 24 janvier 2013 n° 10/07279 :

Un détective privé, à la demande d’un chef d’entreprise, a suivi un salarié, pris des photos de lui sur le balcon de son domicile depuis la voie publique, et s’est servi de communication téléphonique, pour prouver que le salarié avait une autre activité, clandestine. Rejet par les juges de ces preuves, en tant qu’atteintes à la vie privée du salarié.

Cour de cassation Soc. 4 juillet 2012 n° 11-30266 
"Attendu cependant que si l'employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel pendant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle clandestin et à ce titre déloyal ;

Qu'en statuant comme elle a fait, alors que l'utilisation de lettres piégées à l'insu du personnel constitue un stratagème rendant illicite le moyen de preuve obtenu, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Mais si la surveillance est effectuée par une personne interne à l’entreprise, les juges acceptent en justice les preuves ainsi récoltées."

Cass Soc 5 novembre 2014 n° 13-18427 :

"Mais attendu que le contrôle de l'activité d'un salarié, au temps et au lieu de travail, par un service interne à l'entreprise chargé de cette mission ne constitue pas, en soi, même en l'absence d'information préalable du salarié, un mode de preuve illicite."

Ainsi, les juges acceptaient les rapports de détectives privés en justice.

L'obligation de loyauté

Principe de loyauté (L 1222-1, L 120-4 Code du Travail)

Cass Soc 14 Mars 2000 : "l'employeur a le droit de surveiller l'activité de ses salariés pendant le temps de travail : seul l'emploi de procédé clandestin de surveillance est illicite."

L'obligation de proportionnalité

Les juges se sont ensuite fondés sur le fait que la surveillance physique par un détective privé d’un salarié à la demande de son employeur était disproportionnée par rapport à l’intérêt de l’employeur.

Cass. Soc. 26 novembre 2002

"Une filature organisée par l’employeur pour contrôler et surveiller l’activité d’un salarié constitue un moyen de preuve illicite dès lors qu’elle porte atteinte à la vie privée de ce dernier, insusceptible d’être justifiée eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l’employeur."

Cour d’Appel de Paris, 5 octobre 2011 n° 10/01279

"Une filature organisée par l’employeur pour contrôler et surveiller l’activité d’un salarié, accompagnée de l’enregistrement d’une conversation privée et de la captation d’images effectués et conservés à l’insu des auteurs des propos, constitue un moyen de preuve illicite puisqu’elle implique nécessairement une atteinte à la vie privée de la salariée insusceptible d’être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné par rapport à la protection des intérêts légitimes de l’employeur."

Conseil de Prud’hommes de Nîmes, 15 janvier 2013 n° F 11/00847

"Dans le cadre d’un litige prud’homal, un employeur a versé aux débats un rapport de détective privé et un procès-verbal d’huissier dans la perspective de prouver l’activité d’un salarié pendant l’arrêt de travail de ce dernier. Le Conseil a écarté ces éléments des débats, car obtenu par une atteinte à la vie privée du salarié, insusceptible d’être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l’employeur."

Cour d’Appel de Paris, 5 octobre 2011 n° 10/01279 : Même solution et raisonnement pour une filature d’un salarié.

CONSEQUENCES

Dommages et intérêts

Cour d’Appel de Chambéry, 6 septembre 2011 n° 10/02697

"La victime d’une telle atteinte à ses droits est donc fondé non seulement à voir écarter des débats le rapport de filature mais aussi à réclamer réparation du préjudice moral en résultant par l’allocation d’une indemnité dont il convient d’arrêter le montant à 1.000 Euros"

Cour d’Appel d’Aix-en Provence, 12 juillet 2011 n° 2011/533 (2000€ de D&I)

Infraction pénale :

L’article 226-1 du Code pénal puni d’ « un an d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :
1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;
2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.
Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés, alors qu’ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé. »

Pour résumer : 

Pour être recevable en justice, la surveillance doit

-          Faire l’objet d’une information préalable au salarié (contrat de travail, règlement intérieur, ou tout autre moyen pouvant prouver qu’il en avait connaissance).
-          Ne pas atteindre sa vie privée : si possible durant le temps de travail, non loin de l’entreprise, bref en dehors de sa vie personnelle, afin d’être proportionné aux intérêts de l’employeur.
 

Tout cela sera relevé uniquement en cas de débat devant une juridiction sur la recevabilité du rapport. De manière automatique, au vu des différents arrêts précédemment soulevés, les rapports des détectives privés fondés sur une filature du salarié, ou d’une surveillance, dont il n’aurait pas eu connaissance ou le montrant dans sa vie privée, sont rejetés sous prétexte d’être disproportionné par rapport aux intérêts de l’employeur.

Tant qu’aucun aspect de la vie privée du salarié ne ressort du rapport et des actes réalisés, la recevabilité serait plaidable devant une juridiction.

D’ailleurs, c’est à l’autre partie de démontrer clairement que les éléments ont été obtenus par le détective privé de manière illégale ou déloyale.

=  CA Aix-en-Provence – 8 octobre 2008  (n° 07/19399)

« Que c'est à donc à tort que le conseil de prud'hommes a, au seul motif que ces renseignements émanaient d'un cabinet de détective privé, considéré qu'ils constituaient un mode de preuve illicite et renvoyé l'affaire à une autre audience ; 

Qu'il convient avant dire droit d'inviter la Société SERVICE INNOVATION GROUP, prise en la personne de son administrateur judiciaire, à communiquer le rapport d'enquête de la Société AUMACTION et à conclure sur l'entier litige, la dévolution devant s'opérer pour le tout. »

Exemples de Jurisprudence dans le domaine familiale

En matière familiale, la preuve est libre puisque l’adultère, notamment, constitue un fait juridique = article 1315 du Code Civil.
 
Quelques conditions particulières à cette matière ont toutefois été établies par le législateur, compte tenu de l’intimité des relations entre époux :
- Article 259-1 Code Civil : Pas de preuves obtenues par fraude ou violence.
- Article 259-1 Code Civil : Pas de preuves obtenues par violation de domicile.
 
De même, la jurisprudence a posé quelques conditions :
-          CA Toulouse, 8 nov. 2001, (n° 2001/00433) : "Le rapport du détective privé doit être corroboré par d’autres éléments de preuve, le détective étant rémunéré par l’un des époux et donc non objectif."
-          Cass. 1re civ., 6 mars 1996 ; Cass. 2e civ., 3 juin 2004, (n° 02-19.886) : "La filature ne doit pas durer trop longtemps, au risque sinon de voir le rapport rejeté."

La Jurisprudence sur la recevabilité des rapports

-          CA Pau, 2e ch., 30 juin 1997 : "L'adultère du mari peut être établi par des rapports de surveillance dressés par une agence de recherches mandatée par sa femme.
-          Cass. 2e ch., 7 mai 2002  (n° 01-01338) : Les causes de divorce au sens de l’article 242 du Code Civil peuvent être prouvées notamment par le rapport d’un détective privé.
-          Cass. 1re civ., 18 mai 2005, (n° 04-13.745) : Preuve des violations graves ou renouvelées des obligations du mariage par le rapport d’un détective privé.
-          CA Chambéry – 5 juillet 2011 (n° 10/01214) : Recevabilité d’éléments produits par un détective privé non contestée (mais divorce pour faute rejeté car l’adultère a été commis dans une période de séparation de fait.)
-          CA Dijon – 21 février 2013 (n° 12/00709) : Rapport jugé admissible par la Cour pour apprécier de l’existence invoquée d’un adultère.
" Attendu que le rapport du cabinet d'un détective privé, s'il doit être assimilé à un témoignage d'une personne au service de l'une des parties, qu'il appartient à la cour d'apprécier comme tel, il apparaît qu'en l'espèce, ce rapport fait état de constatations précises et circonstanciées qui méritent d'être retenues comme preuves par la cour."
-          CA Douai – 11 avril 2013 (n° 12/03634) : adultère non reconnu, mais recevabilité du rapport non contestée."
-          CA Douai – 30 avril 2013 (n° 12/03770) : constatations d’un détective privé prises en compte pour la détermination du montant du loyer payé par Monsieur.
-          CA Douai – 12 septembre 2013 (n° 12/06772) : Preuve d’un adultère partiellement rapportée par le rapport d’un détective privé.