"La proximité créée avec les autres membres et l’entraide que nous nous apportons valent tout l’or du monde dans une profession où beaucoup travaillent chacun de leur côté".
Bonjour Pierre, depuis combien de temps exerces-tu le métier d’enquêteur privé ?
Depuis mon premier jour de stage en 2012! Je n’avais qu’une hâte après les six mois de cours théoriques : savoir si j’étais vraiment fait pour exercer cette profession sur le terrain. Et la réponse fut rapide (merci à Investiga-France). L’adrénaline n’est pas retombée depuis. Après une petite année de salariat dans la même structure à Aix-Marseille, j’ai créé mon entreprise le 1er janvier 2014 à Annecy et y consacre (presque) tout mon temps depuis plus de 10 ans.
Quel cursus as-tu suivi ?
Deug et licence de droit à La Rochelle, Maîtrise à Bordeaux, et DEA de droit pénal et de sciences criminelles à Montpellier en 2003. Alors que venait d’être créée dans cette même ville une formation de détective… Mais à l’époque je n’en ai pas entendu parler et je me suis inscrit en thèse. A peine son sujet validé, je plaquais tout pour partir voyager, finalement pendant six ans. Et je ne sais toujours pas laquelle de ces 2 tranches de vie me sert le plus dans cette profession.
Comment as-tu découvert le métier de détective ?
Inconsciemment, ce doit être grâce à Mickey, Dingo et leurs enquêtes palpitantes d’une page dans Mickey Magazine. Ou même avant lorsque je collais mes petites images Panini dans l’album de Basil le détective.
Plus sérieusement, c’est Dominique qui a soufflé involontairement l’idée à ma compagne. Il rencontrait quelques problèmes et ses avocats avaient chargé des détectives d’aller enquêter sur le passé d’une femme de chambre en Afrique. Puis un midi de mai 2011, ma compagne a dit : « pourquoi tu ne serais pas détective ? ». Le soir-même, je me rendais compte que c’était en effet une profession à part entière et qu’il existait même des formations. Quelques semaines plus tard, j’étais pris à l’université de Nîmes et attaquais la formation en septembre. Dix années ont été nécessaires à chercher ce que j’allais professionnellement faire de ma vie, quelques mois auront suffi pour enfin savoir de quelle profession je serai retraité.
As-tu une autre activité, qu’elle soit professionnelle ou associative ?
Rien qui ne soit pas en lien avec l’activité de détective. Je suis membre de l’ARPD (association d’Assistance et de Recherche de Personnes Disparues) et de la Fondation Brigitte Bardot, pour donner un coup de main lorsque j’en ai le temps. J’ai tenté de m’impliquer dans la vie syndicale de la profession mais consterné par les guéguerres d’ego et les conflits d’intérêts lucratifs, je m’en suis éloigné pour tenter de fédérer consoeurs et confrères dans un cadre associatif.
Qu’est-ce qui t’a motivé à participer à la création de l’ADI ?
Ma première motivation était de développer un réseau de confiance, avec l’espoir qu’il fédère assez de détectives indépendants pour devenir naturellement une association défendant un jour les intérêts de la profession. Car nous ne sommes même pas 1000 en France et il serait bon qu’un jour nous arrivions à nous rassembler.
Finalement ce ne sera pas le cas pour l’ADI mais l’essentiel est resté : la proximité créée avec les autres membres et l’entraide que nous nous apportons valent tout l’or du monde dans une profession où chacun travaille souvent de son côté.
As-tu une spécialité ou un domaine de prédilection dans ce métier ?
Pas vraiment. J’aimerais traiter plus de dossiers de contre-enquête pénale que je ne le fais aujourd’hui. Car les quelques-unes que j’ai pu mener m’ont procuré des sensations difficiles à retrouver sur les dossiers de droit de la famille ou de droit du travail. Mais je n’ai ni l’envie ni le temps de démarcher les cabinets d’avocats spécialisés. Mon domaine de prédilection reste les missions pour lesquelles il faut s’inventer une vie pour infiltrer un environnement ou créer les conditions matérielles pour entrer en contact, « comme par hasard », avec le sujet de notre enquête afin qu’il nous révèle les informations qui nous manquent.
Qu’est-ce qu’une bonne journée pour toi dans ce métier ?
Partir en mission avant que le jour ne se lève, planquer, filer, avoir de belles photographies, faire l’impasse sur le déjeuner sauf si l’occasion se présente de manger à côté de la personne suivie, replanquer, refiler et surtout finir avant 21h30 pour avoir le temps d’aller faire mon beau rapport au chaud dans un restaurant montagnard… En attendant une côte de bœuf !
Comment vois-tu le métier d’Agent de Recherches Privées dans 20 ans et quelles évolutions tu aimerais le voir suivre ?
J’ai peur de son ubérisation qui à terme permettra définitivement à un businessman assis dans son fauteuil de faire travailler des détectives pour 30 euros de l’heure sans pour autant consacrer au client le temps et l’écoute dont il a souvent besoin lorsqu’il en arrive au point de devoir recourir à nos services.
Quelles évolutions ? Je n’en sais rien. Car il paraît que, dans les années 2000, les conditions d’honorabilité et de formation initiale des détectives ont été instaurées de sorte que notre profession soit davantage reconnue et se voie un jour confier quelques prérogatives que n’a pas tout citoyen. Certes il y a eu une reconnaissance textuelle inédite, mais aucune prérogative. Pire, c’est notamment sous ce même prétexte que sont aujourd’hui imposés de nouveaux devoirs. Au final, toujours plus de contraintes et de contrôles et toujours le néant quant aux quelques moyens qui pourraient nous être donnés. Nous ne sommes pas là pour attenter gratuitement à la vie privée des personnes sur lesquelles nous enquêtons, nous existons car nos clients subissent un préjudice et parce que nous sommes bien souvent leur dernier recours pour que justice leur soit faite.